Bon, lorsque je suis arrivé sur ce forum, j'avais écouté l'album à plusieurs reprises déjà, et fait mon choix : deux titres qui sortent du lot, "les gens absents" et "elles nous regardent", et puis plus rien derrière, ou alors des répétitions. Un album un peu morne, qu'il fallait que je réécoute, mais qui ne m'en donnait pas trop envie.
La découverte de ce forum m'ayant donné envie de rouvrir le dossier, je l'ai réécouté dans de bonnes conditions (c'est à dire avec casque, livret, tranquilité, pas en faisant autre chose, en particulier au travail) ce qui m'a donné lieu à réviser mon jugement.
Les deux chansons précitées sont toujours aussi bonnes. Pour moi "les gens absents" est du niveau de "je t'aimais, je t'aime, je t'aimerais", sauf bien sûr que le point de vue est inverse, mais je trouve que cette complainte désenchantée à l'absente est aussi poignante que l'hymne à l'amour précédent (et pis que préfère les histoires tristes). "Elles nous regarde" en empruntant beaucoup à Souchon est une vraie nouveauté chez Cabrel.
Voyons les autres :
"Les faussaires" : une curieuse façon de commencer un album, une chanson très "statique": Cabrel commence souvent ses albums sur des morceaux qui vous prennent par la main, en douceur, pour vous faire entrer avec lui ("la corrida", "animal", "carte postale", etc) mais aussi par des morceaux plus "rentre-dedans", des ouvertures un peu "en fanfare" ("le monde est sourd", "la dame de haute-savoie"). Mais dans le premier cas, il y a une montée en puissance, bref on sent qu'on entre dans le vif du sujet. "Les faussaires" finit comme elle a commencé, blues en mineur, donc une chanson sombre et sans véritable énergie. Finalement une chanson que j'aime beaucoup, mais qui ouvre l'album en gardant profil bas.
"Bonne nouvelle" : un boogie dans la lignée de "la cabane du pécheur" ou "le monde est sourd"... mais qui reste quasiment tout le temps en mode mineur, comme s'il était sur le ton de la confidence, de la conversation. La "montée en régime" qu'on attendait du titre d'ouverture est là, mais pas plus joyeux que précédemment. Et ce phrase qui revient, "la vie me donne ce que j'attend d'elle" : ce n'est pas une explosion de joie, plutôt un constat de soulagement. Une chanson que j'aime encore beaucoup, mais qui semble dénuée de passion, d'élan, de vie.
Le constat se prolonge avec "qu'est-ce que t'en dis": une de ces chansons d'amour-refuge" dans la lignée de "presque rien" "le reste du temps" ou "rien de nouveau" : l'amour pour Cabrel se vit comme un enterrement, les amoureux se réfugient dans un coin retiré pour fuir un monde trop dur. Troisième chanson superbe, mais le moral n'y est toujours pas.
"le danseur" et "télécaster" ne me touchent pas plus qu'à la première écoute. La première s'écoute sans déplaisir, la seconde me semble une suite de "hell nep avenue" dans la catégorie "mes passions de musiciens", après l'hommage aux bluesmen il raconte ses débuts de guitariste... Le genre de chanson que pour ma part j'oublie dès qu'on passe à la suivante.
"Tu me correspond" ouvre la face B (ben oui, les vieilles habitudes d'amateur de vinyl ont la vie dure !) sur un tempo un peu guilleret, et avec un texte pas trop dépressif. Une chanson presque joyeuse, pas désagréable, mais pas inoubliable non plus.
"S'abriter de l'orage" : à mon avis la chanson ratée du disque, pour une raison curieuse : on dirait une véritable caricature de son style, alors qu'elle n'est pas de lui. Dylan a tant influencé Cabrel, qu'en lui rendant hommage il a l'air de s'auto-parodier. Le magicien fait l'erreur de nous dévoiler ses secrets, et ça ne lui réussit pas...
"Tête saoule" est la chanson engagée du disque, un écho à "Madame X.", cette fois le constat se fait plus pressant : Madame X constatait les injustices et le peu de solidarité mais ne le disait "pas méchamment", "Tête saoule" commence à tisser sa cagoule / commence à parler de bataille", on passe du regret à la révolte... A part ça, comme sauf exception je n'adore pas les chansons rapides de Cabrel, je n'adore pas celle-là.
"Elle dort" : une de ces chansons un peu énigmatique dont on ne saisit vraiment le sens que quand on trouve le détail qui met le reste en perspective. En l'occurence, je l'ai écoutée à plusieurs reprise avant de comprendre que "la chaise mobile où lourdement pèse son corps" était le fauteuil d'une handicappée... Un texte sobre, tout en évocations retenues, une autre des réussites de l'album.
Et c'est à "Je te vois venir" que revient la lourde tâche de fermer le bal, de nous laisser l'impression finale qu'on retirera du disque. Et le constat n'est pas joyeux : sur le fonds, c'est la complainte désenchantée d'un homme désabusé qui ne constate pas la fin d'un amour (là on sortirait les violons et les grands sentiments), juste une érosion. Ca commence sur un bilan en demi teinte de son existence, "déjà qu'elles arrivaient bien tard ces années de bonheur" mais en plus elles n'ont pas duré bien longtemps... Dans "bonne nouvelle", il nous disait que la vie lui donnait ce qu'il attendait. Là on apprend qu'elle n'a pas tardé à lui reprendre... Le bonheur est rare, et en plus il ne faut pas compter sur les amis "dans ce cas là tu sais les amis n'en font pas des tonnes, t'es au moins sur d'un truc c'est que tu ne peux compter sur personne", de toute façon on n'a pas les moyens de se battre, "Pourtant je ne suis pas bon dans les côtes", donc il n'y aura pas de bataille, on range les souvenirs et on retourne à ses idées noires.
Bref une des chansons les plus sombres de Cabrel, un constat dépressif, en conclusion d'un de ses albums les moins enjoués. Sur la forme, un autre blues en mineur qu'on pourrait dire miné de l'intérieur, sans ressort ni envol, en parfaite adéquation avec le sujet.
A la réécoute, je comprends pourquoi je n'ai pas apprècié cet album au début : non parce qu'il est mauvais, mais parce qu'il ne fait rien pour séduire. Un début et une fin démoralisés, cinq chansons abordant des sujets plutôt tristes, le reste sans réelle gaîtée... Sans grande tristesse non plus c'est pas du mélo, juste un grand mal-être...
Je met quand même cinq chansons dans la catégorie "plus on les écoute plus on les aime", les trois premières et les deux dernières. Ca en fait 7 bonnes, donc un album d'un niveau comparable aux précédents. J'ai bien fait de m'y replonger !
Je ne connais pas la vie privée de Cabrel, mais un tel album m'amènerait à penser qu'il traverse une phase dépressive, une séparation, un deuil, ou quelque chose du genre... La pochette de l'album est certes rose, mais c'est bien la seule chose rose dans l'ensemble.