Voilà l'interview
On a rencontré Francis Cabrel - Fémina du vendredi 4 avril 2008
Avec « des Roses et des Orties », il offre un bouquet de treize chansons douces et piquantes qui ne sont pas près de faner. A nous de lui envoyer des fleurs maintenant.
Vous sortez un disque tous les cinq ans, mais il ne vous en a fallu que
quatre cette fois. Pourquoi ?Avant, je me laissais vivre. J’habite à la campagne, dans une région ensoleillée, je prenais le temps d’élever mes enfants, de trouver un autre sens à ma vie que la musique… Or je suis sûr maintenant que je ne suis fait que pour cela : composer des chansons. Donc, dès que l’album précédent a été fini, j’ai commencé celui-ci. C’est vrai aussi que le temps passe, j’ai 54 ans, il faut que je me dépêche d’écrire tout ce qui me tient à cœur.
Des roses de des orties, c’est votre état d’esprit ,Il fallait trouver un titre et celui-là est joli, romantique, champêtre. Je regard beaucoup la nature, les fleurs, les arbres… Dans ce disque, il y a plein de références à ce que je vois de ma fenêtre. Je vie au grand air, dans un endroit rustique. Ca s’entend !
Pourquoi les orties ?
On ne passe pas son temps à offrir des roses, on a parfois des réactions plus épidermiques. J’aime bien l’image de l’ortie : d’abord elle caresse et, dix minutes après ça pique. C’est une plante qu’on ne remarque pas, comme moi. Mon but a toujours été de me cacher.
Diriez-vous qu’il s’agit d’un album plus engagé ?
J’ai toujours vidé mon cœur. Il me semble avoir respecté l’équilibre entre la chanson préoccupée et la chanson insouciante. Mais même quand je parle de sujets qui m’agacent, j’essaie d’y mettre les formes. C’est mon côté bien élevé. J’ai été éduqué ainsi.
Et cette farouche recherche de l’anonymat ?
Je veux vivre discrètement. Pourquoi vivrais-je de façon tapageuse parce que je suis chanteur ? J’estime être comme le commun des mortels. Je milite pour des hommes tous pareils ! Un maçon, un prof, un chirurgien sont des gens que je trouve respectables. J’éprouve une forte culpabilité. Je ne pars pas travailler comme mon père qui a trimé chaque jour de sa vie pour nourrir sa famille. Je suis d’une lignée de bosseurs et moi, je ne fais rien. Je ne veux pas profiter du factice. Je me montre quand j’ai besoin d’expliquer mes chansons . J’ai la notion de l’utile.
Et de l’agréable ?Oui, j’ai fini pour trouver ça agréable. Par moments, sur scène, il m’arrive d’éprouver du plaisir. Pas toujours. Emporté par la fougue de ce qu’on vient d’écrire, on se lance sur scène. Mais, à bien y réfléchir, se lever devant les gens et chanter deux heures, c’est ridicule. Pourtant, je le fais depuis trente ans.
Dans « Des gens formidables », vous semblez lucide sur les artistes et leur générosité. Vous parlez aussi de vous, là ?J’ai conscience de faire partie d’un groupe de privilégiés, qui se donne bonne conscience par de petits actes généreux mais très courts par rapport à ce que représente une année de privations. On est normalement égoïstes. Il ne faut pas chercher des héros chez nous. On sort de notre boite dorée, on va donner des concerts bénévolement, puis on rentre chez nous. Quand on est généreux de nature, c’est compliqué à vivre. Les anciens pauvres qui réussissent, c’est difficile. J e suis toujours entre deux mondes.
Vous dites que vous faites « des petites chansons qui se fanent ». Il y en a beaucoup ?Oui, beaucoup trop à mon goût mais, heureusement, il y en a cinq qui résistent un peu comme Petite Marie ou C’est écrit. Je ne me plains pas, cela fait déjà suffisamment pour que je sois heureux.
Comme vous le dites, les artistes ne sont pas des divinités, alors ?J’essaie de ne pas le penser, mais il fait bien avouer que, comme tout le monde, à un moment, j’ai eu l’impression d’être important. On fait des métiers bizarres, on est tellement adulés, applaudis… Donc, forcément, ça dérange le psychisme, le moins possible, on espère. L’adulation primaire, je peux m’en passer, mais pas la reconnaissance. Mon but, c’est d’avoir un effet apaisant sur les autres, d’être une parenthèse romantique, poétique.
« Mademoiselle l’Aventure » est une chanson pour Thiu, votre fille adoptive ?J’ai voulu l’écrire pour que la femme qui a mis Thiu au monde sache qu’on est une famille malgré la distance, avec elle qu’on ne connaît pas, nous et la petite au milieu. En adoptant, on rend un enfant heureux, mais on l’arrache aussi à son histoire. J’ai mal vécu le départ. Même si l’adoption est un acte d’amour, on brise quelque chose que je voulais reconstituer avec cette chanson.
Vous avez dit éprouver un très fort sentiment de paternité…
Chaque enfant m’a poussé, sublimé, donné envie d’un tas de projets. Comme par hasard, les chansons sont meilleures après chaque naissance. Vous comprenez pourquoi j’aimerais avoir trois ou quatre enfants de plus !
Quel type de rapport avez-vous avec les femmes ?Je vis entouré de femmes : la mienne, mes trois filles, la nounou, ma mère. J’aime la compagnie des femmes, leur sensibilité. Le monde féminin me plaît. Par peur, j’ai passé les dix-huit premières années de ma vie à le fuit. Ca a été pareil avec les enfants. Une fois que j’en ai eu, j’ai compris.
Propos recueillis par Valérie Robert.
Bonne lecture